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Nous avons rencontré Pilar Montesinos Cusi Yupanqui, membre de l’association de « Tierra De Los Yachaqs » spécialisée dans le tourisme rural communautaire. Située à Cusco et travaillant avec des communautés de la Vallée Sacrée des Incas, cette association œuvre pour développer le tourisme au sein de cette zone agricole afin de permettre aux familles d’améliorer leurs conditions de vie. L’association aujourd’hui encrée dans le paysage social a du faire face à plusieurs obstacles. Entretien.

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment est née l’association Tierra de los Yachaqs ?

En tant que native du petit village de Huayllafara, j’ai grandi au sein d’une communauté andine et aujourd’hui je suis présidente sortante de l’association communautaire Tierra de los Yachaqs. Cette association représente 8 communautés de la Vallée Sacrée des Incas qui se sont unies afin de partager un moment de leur quotidien avec les voyageurs venus du monde entier.

« Dans la gestion de notre activité, aucune ONG ou opérateur touristique n’intervient et tous les bénéfices sont directement reversés à la communauté. »

 

Après plusieurs années à la présidence, je suis désormais en charge du secteur commercial et coordinatrice entre les communautés et les entreprises du secteur touristique. L’association dispose de sa propre structure et est administrée uniquement par les membres ce qui permet un climat sain sans prestataire externe. Dans la gestion de notre activité, aucune ONG ou opérateur touristique n’intervient et tous les bénéfices sont directement reversés à la communauté.

L’association a débuté en 2010 avec l’aide de CODESPA, institution espagnole. Ils nous ont formé, organisé dans nos structures mais aussi dans la formation au service client, gastronomie, développement de produits, étude de marchés et à la recherche de partenaires commerciaux. Le processus d’adaptation des maisons au tourisme a pris un peu de temps. Les familles ont commencé petit à petit à acquérir des lits, matelas, couvertures, etc.

Aujourd’hui, êtes-vous une association totalement indépendante ?

La période de lancement pour ce type de projet dure souvent un temps bien défini, et une fois nos équipes et les communautés bien formées, la fondation CODESPA s’est retirée. Nous sommes donc désormais totalement autonomes, et si nous avons besoin d’une aide ou un service, par exemple, une formation aux premiers secours, nous nous rapprochons des autorités locales qui généralement nous solutionnent notre besoin. Les familles quant à elles, continuent de s’améliorer et de s’équiper grâce au soutien financier que génère le tourisme dans leur communauté.

Comment les familles ont-elles été intégrées au projet?

Au départ, il nous a semblé essentiel de lancer une invitation à toutes les familles des 8 communautés afin d’expliquer le projet et surtout de le proposer à tous sans aucune discrimination d’y accéder si elles le souhaitaient.

Comme tout projet, le lancement est long et les résultats tardent à arriver. Malheureusement des familles se sont retirées du projet les premières années faute de patience. C’est dommage car une fois qu’ils ont vu les résultats, ils voulaient se réintégrer au projet mais c’est compliqué pour nous, car nous avons un standard de qualité à maintenir. En effet, nous avons mis en place de nombreuses formations avec les familles ce qui a créé un fossé entre les pionniers et les nouveaux entrants. Par principe, nous ne fermons cependant jamais la porte à ceux qui veulent intégrer l’association.

Quel est le but de cette association ?

« Tierra de los Yachaqs » : signifie « Terres des Savants » en Quechua. Notre organisation a pour but de valoriser notre culture, nos traditions, paysages et connaissances ancestrales sur les Incas, pour enfin partager tout ce patrimoine culturel immatériel avec les touristes à travers différentes activités, de manière responsable et respectueuse de l’environnement.

« Le tourisme a vraiment permis de revaloriser notre culture et de la transmettre à nos visiteurs. »

 

Dans ces communautés, nous vivons essentiellement de l’agriculture et du tissage, le tourisme communautaire vient alors comme une activité complémentaire visant à améliorer les conditions de vie des familles. Le tourisme a vraiment permis de revaloriser notre culture et de la transmettre à nos visiteurs.

Quelles difficultés principales avez-vous rencontré ?

Le tourisme rural communautaire est un processus très long et assez difficile à mettre en place, surtout pour sensibiliser et former les familles à recevoir des visiteurs. Cela fait 11 ans que « l’asso » a été créée et ces dernières années, nous avons pu enfin commencer à apprécier les résultats. Les conditions de vie se sont améliorées avec une hausse de la participation des femmes dans ce projet qui représentent aujourd’hui 80% de la population.

Avant le projet de tourisme communautaire, beaucoup de jeunes étaient partis étudier en ville en quête d’une vie meilleure et au final une fois diplômés, ils sont revenus au village pour contribuer au projet, en apportant un œil nouveau au tourisme.

Désormais, les familles reçoivent les touristes de manière équitable à tour de rôle, c’est important pour une bonne gestion de l’association et pour un climat sain dans la communauté. Tant de points positifs qui nous rendent fier du travail accompli durant toutes ces années !

Qu’a permis la création de l’association dans la gestion du tourisme communautaire ?

Avant tout cela, il existait pas mal d’associations individuelles axées sur l’artisanat et le textile mais sans réel plan de développement de tourisme communautaire. Ces associations n’avaient malheureusement pas de poids toutes seules et n’étaient pas écoutées par les institutions publiques ni par le secteur privé.

 

« L’association nous a apporté de la stabilité et de la crédibilité auprès des collectivités locales et entreprises privés du tourisme. »

 

Faire naître « Tierra de los Yachaqs » c’était avant tout créer une union solide pour être plus fort tous ensemble en intégrant chaque famille désireuse d’entreprendre ce type d’activité. Nos 8 communautés ont chacune leur spécialité. C’est toujours avec fierté qu’elles partagent avec le voyageur le tissage, l’agriculture, l’élevage d’alpagas et de llamas, la gastronomie, ou la poterie entre autre. Elles souhaitent ainsi se démarquer et transmettre leur savoir-faire.

D’un autre côté, la création de notre structure nous a permis d’être entendus et considérés par les collectivités locales, municipalités et entreprises privées du tourisme. Solides, nous prenons désormais nos décisions ensemble et nous avons un pouvoir de pression pour faire avancer les choses et obtenir des résultats plus rapidement.

Pilar, que retenez-vous de vos années passées au sein de l’association ?

En 11 ans dans l’association, je crois que ce qui m’a le plus marqué et forgé c’est le simple fait de travailler au cœur de communautés, avec des gens à l’identité et au caractère fort. Ce fut un travail de longue haleine les premières années, pour les former au tourisme et à la qualité de service attendue dans ce milieu. Il ne faut pas oublier que ce sont deux mondes qui se rencontrent. Il n’est pas toujours facile d’être au milieu, juste entre les prestataires touristiques et les communautés. Beaucoup de responsabilités à assumer et je ne vous cache pas que j’avais pensé à arrêter fut un temps. Mais ensuite, j’ai eu le soutien de nouveaux entrants dans l’association. Et cela m’a beaucoup aider à déléguer certaines tâches et responsabilités.

« L’implication de la femme a énormément évolué et dans le bon sens. »

 

Mais en 11 ans, il y a aussi beaucoup de positif. L’implication de la femme a énormément évolué et dans le bon sens. Au départ, elles étaient un peu en retrait et peu écoutées dans les décisions familiales ou communautaires. Dorénavant, elles se consacrent au service donné aux voyageurs et apportent leur contribution financière dans le foyer en gérant l’aspect touristique. Les hommes l’ont compris et aident souvent leur femme pour servir les touristes. Cela fait du bien de sentir que l’on contribue à améliorer les conditions de vie de la femme dans un milieu très traditionnel et conservateur.

Comment le Covid a-t-il affecté la vie des familles ?

Au début de cette pandémie, la peur a gagné les communautés. Peur de s’infecter, peur d’aller en ville, peur de se rendre au marché. Ils travaillent tous la terre, donc ils ont fermé les accès, pris leurs précautions et continué avec leurs tâches agricoles. Il a fallu ensuite les conscientiser sur le virus, car ils recevaient uniquement les pires infos sortis tout droit de la radio. Les familles sont désormais formées aux gestes barrières, à la réception de touristes et petit à petit avec le tourisme national, la confiance et le calme sont revenus.

Comment voyez-vous l’avenir?

D’abord, nous sommes en train de développer tous les protocoles d’hygiène pour protéger les familles qui accueilleront les futures touristes. À long terme, nous pensons que le tourisme rural communautaire sera une opportunité pour pouvoir croître encore plus. En effet, la segmentation du marché est telle qu’après le Covid, les passagers vont cherchés à se reconnecter avec la nature à travers de grands espaces ou d’une nourriture plus saine. On pense qu’il y aura une valorisation du naturel, du « bio », un retour aux sources qui représente pour nous une chance pour le futur car nous venons de la terre et l’agriculture est notre savoir-faire enseigné sur plusieurs générations. Nous sommes donc en train de nous préparer à cela. Le Covid a également été un temps d’introspection pour nous, afin de réfléchir aux valeurs que nous voulons transmettre pour le futur.

 

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